Calez vous bien dans votre fauteuil et imaginez avec moi ; Nous sommes le 28 mars 1880, dimanche de Pâques, et l’un des frères Goncourt note dans son journal : « Aujourd’hui, nous partons, Daudet, Zola, Charpentier et moi, pour aller dîner et coucher chez Flaubert, à Croisset. Maupassant vient nous chercher en voiture, à la gare de Rouen. »
Je m’y vois. Avec eux sur le chemin du 19ième siècle. Ecouter Flaubert déclamer son texte, entre l’écriture de « Madame Bovary » et son dictionnaire des idées reçues.
Flaubert a 59 ans, Maupassant en a 30 et Flaubert le considère comme son fils. Une amitié les unit.
Maupassant écrit : « Parbleu ! Il n’y a que les imbéciles qui ne soient pas gourmands. On est gourmand comme on est artiste, comme on est instruit, comme on est poète. Le goût, mon cher, c’est un organe délicat, perfectible et respectable comme l’oeil et l’oreille.
Manquer de goût, c’est être privé d’une faculté exquise, de la faculté de discerner la qualité des aliments, comme on peut être privé de celle de discerner les qualités d’un livre ou d’une oeuvre d’art ; c’est être privé d’un sens essentiel, d’une partie de la supériorité humaine; c’est appartenir à une des innombrables classes d’infirmes, de disgraciés et de sots dont se compose notre race; c’est avoir la bouche bête, en un mot, comme on a l’esprit bête. Un homme qui ne distingue pas une langouste d’un homard, un hareng, cet admirable poisson qui porte en lui toutes les saveurs, tous les arômes de la mer, d’un maquereau ou d’un merlan, et une poire crassane d’une duchesse, est comparable à celui qui confondrait Balzac avec Eugène Sue, une symphonie de Beethoven avec une marche militaire d’un chef de musique de régiment, et l’Apollon du Belvédère avec la statue du général de Blanmont ! »